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La peste n'a pas disparu : où est le danger ?
dossier De l’Antiquité à nos jours, la peste a décimé pas moins de 200 millions de personnes et ainsi marqué culturellement, religieusement, politiquement, mais aussi économiquement nos sociétés occidentales. D’ailleurs, encore aujourd’hui, notre vocabulaire est riche de références à cette maladie, qu’il s’agisse de qualifier des individus (peste, pestiféré), des odeurs (pestilentielle), un comportement (pester) ou encore d’expressions comme « choisir entre la peste et le choléra »… De plus, en pleine pandémie de Covid-19, les comparaisons avec la peste ont foisonné dans les médias et sur les réseaux sociaux. En Europe, nous l’estimons éradiquée et la considérons très souvent comme anecdotique, un fait historique passé. Mais si le dernier cas de peste rapporté sur le vieux continent date de 1945, cette maladie demeure endémique dans de nombreuses régions du globe, de l’Afrique à l’Asie en passant par les Amériques.
Entre 2013 et 2018, quelque 3000 cas de peste ont ainsi été recensés dans le monde. La maladie a par ailleurs fait sa réapparition en Afrique du Nord après plusieurs décennies d’absence (Algérie en 2003, 2008, et Lybie en 2009) et en Asie centrale (Kirghizistan en 2013). On peut donc imaginer le retour de la peste possible dans ses anciens foyers, notamment l’Europe et la France, avec des cycles de dormance (c’est-à-dire sans aucun cas chez l’homme) et d’épidémie (apparition de nouveaux cas) variables. D’autant que comme le souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il faut prendre en compte les changements climatiques, les flux migratoires, les échanges commerciaux et le risque terroriste.
Ajoutons que la ré-émergence de la peste ne pose pas seulement des problèmes de santé publique. Elle constitue aussi une menace pour la biodiversité : capable d’éradiquer des peuplements pour certaines espèces animales, elle constitue en outre un véritable danger pour des espèces en voie d’extinction comme le putois à pieds noirs. Ce petit mammifère, certainement le plus rare d’Amérique du Nord, a été classé espèce en danger, en raison de sa forte sensibilité à la maladie de Carré et à la peste, et par la diminution de sa principale ressource alimentaire, le chien de prairie sauvage, lui-même décimé par la peste. Finalement, par la peur qu’elle engendre, la peste constitue une menace pour le tourisme, et donc une menace économique importante.
La peste, une maladie mortelle
Due à un bacille appelé Yersinia pestis, en hommage au médecin de l’Institut Pasteur qui en a fait la découverte à Hongkong en 1894, la peste affecte naturellement les rongeurs, et donc les puces qui les parasitent. Chez l’homme, elle se manifeste sous trois formes majeures dites bubonique, septicémique et pulmonaire. Toutes résultent de manière directe et/ou indirecte d’un dépôt de bactéries dans la peau lors d’une piqûre de puce infectée. Mais la forme pulmonaire peut être contractée suite à l’inhalation d’aérosols contaminés.
Depuis la peau, Y. pestis gagne les ganglions lymphatiques où elle se multiplie et les fait augmenter de volume. Nous parlons de bubon, qui est très douloureux. Ce dernier se manifeste le plus souvent à l’aine ou aux aisselles, et plus rarement au niveau cervical. Depuis le bubon, le bacille se dissémine dans le sang, donnant naissance à la peste septicémique. Mais cette dernière forme de la maladie peut aussi survenir sans bubon, quand le germe a été déposé directement dans un vaisseau sanguin. Dans l’un et l’autre cas, les poumons peuvent à leur tour être infectés, ce qui se traduit par une pneumonie (jusqu’à 5 % des cas). Cette peste pulmonaire, à la différence des deux autres formes, est contagieuse par voie aérienne : la personne atteinte peut en contaminer une autre à travers ses crachats et postillons.
Presque toujours, les formes septicémiques et pulmonaires de la peste sont mortelles en l’absence de traitement antibiotique précoce. Quant à la forme bubonique, sans traitement précoce, elle conduit au décès dans 40 à 60 % des cas. En pratique, les médicaments existent, et ils sont de surcroît peu onéreux et efficaces. Mais depuis 1995, des souches de Y. pestis multi-résistantes à ces antibiotiques ont été isolées en Mongolie par le National Center of Infectious Diseases with Natural Foci et à Madagascar par les Instituts Pasteur à Paris et à Antananarivo. Une découverte inquiétante car elle pointe la possibilité d’une peste que nous serions incapables de traiter avec les médicaments existants. Il y a donc urgence à mieux comprendre le cycle infectieux, pour être à même de contrer la peste avec de nouvelles stratégies.
La puce, un vecteur ignoré
Si les mécanismes conduisant à l’apparition de la maladie chez l’homme sont désormais mieux compris, il reste néanmoins beaucoup à apprendre s’agissant de sa transmission par les puces. De fait, un premier modèle explicatif fut proposé dès 1914 par l’entomologiste britannique Arthur Bacot. Mais il fallut attendre la fin des années 1990 pour que des scientifiques s’en emparent et reprennent des recherches plus intensives (bien que toujours limitées). Depuis lors, plusieurs études ont été publiées, notamment par l’équipe de B. Joseph Hinnebusch aux Rocky Mountain Laboratories (Montana, États-Unis), celle de Kenneth Gage au Centers for Disease Control and Prevention (Colorado, États-Unis), ou par notre équipe au laboratoire du Centre d’Infection et d’Immunité à l’Institut Pasteur de Lille. Ces études ont permis de comprendre comment le bacille Y. pestis colonisait l’organisme d’une puce, et pouvait ensuite être transmis à un nouvel hôte – en l’occurrence, un animal ou un humain.
À ce jour, plus de 2500 espèces de puces ont été recensées et infestent les mammifères et les oiseaux. Au moins 80 espèces ont été trouvées comme porteuses du bacille pesteux sans que nous sachions combien sont capables de réellement transmettre la maladie efficacement. Les hôtes de ces puces sont généralement des rongeurs sauvages (notamment des rats) qui meurent en quelques jours. À la mort de l’animal, les puces vont aller se nourrir sur un nouvel hôte de la même espèce. Mais, lorsque l’hôte principal vient à manquer, les puces infectieuses se nourrissent sur d’autres hôtes, secondaires, dont l’homme. Fait intéressant, certains carnivores semblent être naturellement résistants à la peste comme le chien.
L’infection fait suite à un repas de sang sur un mammifère contaminé. Le sang contenant les bactéries traverse l’œsophage et le proventricule – une valve s’ouvrant périodiquement pour laisser passer le sang et empêcher sa régurgitation au point de succion – avant d’être déversé dans l’estomac pour y être digéré. Le bacille s’installe alors dans le tube digestif de l’insecte. Ce qui au bout de quelque temps (a minima 5 jours plus tard) a pour effet d’empêcher l’insecte de se nourrir, en constituant un bouchon bactérien très solide dans le proventricule.
Cette obstruction du tube digestif affame l’insecte, modifiant ainsi de manière drastique le comportement de l’animal. Incapable de s’alimenter jusqu’à sa mort (par famine), la puce pique son hôte de manière répétée et sans relâche, aspirant donc à de multiples reprises du sang qui est bloquée au contact du bouchon bactérien. C’est au cours de ces multiples tentatives infructueuses de prises de repas que la puce régurgite alors dans la plaie le sang souillé qu’elle ne peut ingérer, inoculant ainsi le bacille de la peste à ses hôtes.
De nouvelles cibles pour un contrôle de la maladie ?
L’étape du blocage du tube digestif de l’insecte est cruciale dans la transmission de la maladie. Or jusque récemment, on supposait que cette obstruction était due aux bactéries issues de l’estomac infecté. Mais d’après l’étude que nous avons récemment publiée dans la revue PLoS Pathogens, le blocage aurait une autre origine : il résulterait de l’infection primaire du proventricule. Autrement dit, le bacille de Yersin colonise en même temps le proventricule et l’estomac mais seules les bactéries colonisant le proventricule permettront de conduire à l’obstruction totale de ce dernier.
En colonisant la valve proventriculaire, le bacille Y. pestis déclencherait une réaction immunitaire et se retrouverait ainsi piégé dans une masse bactéricide dont la composition est inconnue. À chaque repas de sang, cette masse serait partiellement délogée, avant de se reconstituer grâce aux bactéries toujours présentes. Au cours des cycles de destruction-reconstruction de cette masse, les bactéries la solidifieraient via la synthèse d’un polymère de sucre, formant ainsi un biofilm, bouchon suffisamment solide pour résister au flux sanguin entrant.
Naturellement, il reste encore des données à préciser dans ce modèle de colonisation de la puce par le bacille de la peste. Nous savons en effet que cette bactérie doit trouver dans le tube digestif de l’insecte les nutriments nécessaires à sa prolifération, mais aussi résister aux attaques du système immunitaire de l’insecte, ou encore aux composés toxiques liés à la digestion du repas sanguin. Reste que ces mécanismes sont pour l’heure mal connus. La preuve ? Le génome du bacille compte un peu plus de 4 500 gènes, et jusqu’alors, seuls une dizaine ont été associés aux mécanismes suscités. Notre étude en a ajouté deux à la liste : rpiA et rpe qui permettent d’abord aux bacilles de résister à la masse bactéricide, puis de la solidifier conduisant à affamer la puce qui ira piquer de nouveaux hôtes et permettant ainsi in fine la dissémination du bacille. Gageons que d’autres gènes seront bientôt découverts et permettront d’établir de nouvelles stratégies de lutte contre la peste afin de la contrôler et espérons-le, un jour, de l’éradiquer.
► Florent Sebbane, bactériologiste, directeur de recherche, Inserm et Sébastien Bontemps-Gallo, microbiologiste - chargé de recherche, Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
► Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.