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Les bactéries intestinales dictent-elles notre humeur ?
dossier Les scientifiques commencent seulement à prendre véritablement la mesure du rôle de notre microbiote, ces innombrables micro-organismes qui vivent sur et dans notre corps. Le tube digestif abrite à lui seul plus de 10 000 milliards de bactéries – majoritairement anaérobies, c’est-à-dire qui n’ont pas besoin d’oxygène pour vivre. Sans compter les virus, les levures et les champignons. L’influence du microbiote de l’intestin sur la régulation de nos fonctions vitales aurait ainsi été considérablement sous-estimé jusqu’à la publication des travaux décisifs de ces cinq dernières années.
La découverte la plus frappante est sans doute celle de liens entre les perturbations de cette flore intestinale et des troubles psychiatriques comme l’anxiété, la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, ou encore un trouble neurodéveloppemental comme l’autisme. Il est trop tôt, à ce stade, pour affirmer qu’il s’agit d’une cause, et non pas d’une conséquence de ces troubles. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle la communauté microbienne abritée par notre intestin détermine en partie notre humeur et nos comportements mérite d’être étudiée. Si elle venait à être confirmée, cela ouvrirait des perspectives de prévention ou de traitement inédites en santé mentale.
Les trois premières années de la vie, période clé
Le microbiote intestinal se forme au cours des trois premières années de la vie. Il reste ensuite relativement stable au cours de la vie mais peut être transitoirement modifié, par exemple par un nouveau régime alimentaire, une infection intestinale ou un traitement antibiotique. Le rôle de cet écosystème est fondamental dans la motricité intestinale, c’est-à-dire la progression des aliments dans le système digestif. Il l’est aussi dans le développement du système immunitaire, protégeant l’individu contre l’agression de certaines pathogènes. Il l’est, enfin, dans le système métabolique, participant à la digestion, influençant l’absorption et la distribution des nutriments voire, en cas de maladie, des médicaments.
On estime actuellement que 90 % des maladies pourraient avoir un lien avec des perturbations du microbiote, les unes causant les autres ou inversement. On parle de « dysbiose », pour des situations dans lesquelles une altération de la biodiversité du microbiote peut occasionner des effets négatifs pour l’individu. La « paucibiose » fait référence à la perturbation quantitative du microbiote, c’est-à-dire une baisse du nombre total de bactéries, indépendamment du nombre d’espèces différentes.
Les effets de telles perturbations sur les comportements ont été mis en évidence, pour l’instant, par des études sur des modèles animaux. Ainsi des chercheurs ont fait naître des rats par césarienne, dans des conditions stériles, pour qu’ils aient le moins de contacts possible avec des micro-organismes présents chez leur mère ou dans l’environnement. Ces rongeurs développent rapidement des troubles comportementaux évoquant des maladies psychiatriques : le repli sur soi, une perte de poids, des troubles du sommeil, de l’anxiété, la perte de l’hygiène voire des automutilations.
Or ces troubles s’avèrent réversibles si on administre à ces mêmes rats des probiotiques (des bactéries bonnes pour leur santé) au cours des six premières semaines de leur vie. Au-delà, les troubles deviennent irréversibles, suggérant que le microbiote joue un rôle crucial dans la période de développement du système nerveux central.
Comment le microbiote influence le cerveau
Qu’en est-il chez l’homme ? Notre microbiote peut influencer notre cerveau par plusieurs voies. Il peut modifier la perméabilité intestinale (c’est-à-dire le passage des molécules à travers la paroi de l’intestin vers la circulation sanguine et de là vers le cerveau), moduler l’inflammation au niveau de l’intestin et dans le sang, l’absorption de nutriments bénéfiques ou essentiels pour le cerveau, et influencer le système nerveux autonome responsable des réactions d’éveil et de fuite. Ces phénomènes semblent être à l’œuvre dans plusieurs types de troubles.
À ce jour, les chercheurs ont surtout étudié le lien entre la perturbation du microbiote intestinal et l’autisme, un trouble neurodéveloppemental caractérisé par la diminution des interactions sociales et de la communication, avec des comportements stéréotypés et répétitifs. L’autisme s’accompagne très fréquemment de troubles digestifs. Les enfants autistes, comparés aux non-autistes, auraient dix fois plus de bactéries de type Clostridium, une augmentation des Bacteroidetes et Desulfovibrio, et une diminution des Firmicutes et Bifidobacterium.
Une augmentation de la perméabilité intestinale (l’intestin jouant moins bien son rôle de filtre retenant les pathogènes) a également été décrite dans l’autisme, ainsi qu’une élévation de marqueurs d’inflammation dans le sang. De nombreuses autres anomalies au niveau de la paroi de l’intestin et de la composition des selles chez ces enfants ont également été rapportées.
Le syndrome de l’intestin irritable associé à l’anxiété