Bilingues : le jugement change selon la langue
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Plusieurs expériences démontrent que les choix moraux varient, et parfois considérablement, selon qu’ils sont posés dans la langue maternelle ou dans une langue apprise.
Il s’agit d’un phénomène étonnant, dont beaucoup n’ont pas conscience, et pourtant, sa réalité paraît incontestable. Le quotidien suisse Le Temps fait état d’expériences « fascinantes », dont il ressort que « notre sens de la morale, qui fait une grande part de notre identité profonde, est altéré lorsqu’il faut faire des choix dans une langue étrangère ». Trois exemples.
• Expérience 1. Elle repose sur le célèbre « dilemme du tramway ». Pour sauver cinq personnes présentes à bord d’un tramway incontrôlable, il faut sacrifier un passant en actionnant un aiguillage. Dans la version classique, la plupart des participants décident de provoquer le décès pour en éviter de plus nombreux. Mais, mais… Lorsqu’on précise que le passant doit être poussé du haut d’un pont pour stopper le tramway fou, tout se complique. Alors que quand la question est posée dans la langue maternelle, 20% reconnaissent qu’ils pourraient pousser eux-mêmes la personne, la proportion grimpe à… 50% quand le choix est proposé dans une langue étrangère apprise.
• Expérience 2. La langue maternelle des participants est le turc, parlé pendant leur enfance, et ils ont appris l’anglais plus tard. Ils ont écouté des mots et des phrases soit neutres (voiture, table…), soit avec une forte connotation affective et morale (réprimandes, insultes, jurons…), en turc ou en anglais. La conductivité de la peau a été enregistrée. On constate que les émotions sont bien plus intenses lorsque les mêmes propos sont prononcés en turc.
• Expérience 3. Les participants sont confrontés à des scénarios paradoxaux, comme de bonnes intentions avec des conséquences négatives (on offre un manteau à un sans-abri, qui se fait battre ensuite parce qu’on croit qu’il l’a volé), ou de mauvaises intentions avec des conséquences positives (une adoption d’enfant pleinement réussie alors qu’elle était au départ motivée par l’appât du gain). On observe que le résultat compte plus que l’intention quand le scénario est présenté dans une langue apprise.
On pourrait multiplier les exemples, comme ces expériences qui font apparaître que des récits que beaucoup trouvent moralement répréhensibles sont jugés beaucoup moins choquants lorsque leur description est faite dans une langue étrangère.
Comment expliquer tout cela ? Les hypothèses ne manquent pas. Ainsi, nous prendrions des décisions plus directes, plus simples, plus expéditives, dans une langue étrangère car le choix est plus compliqué pour le cerveau. Ou encore, notre langue maternelle est bien plus empreinte de souvenirs, d’émotions, d’intimité, de tabous, de références à la transgression et à la punition…, qu’une langue apprise par la suite, en particulier dans un contexte scolaire. Alors, quel est mon vrai « moi » moral ?, s’interroge Le Temps.