La sédation palliative est-elle une forme déguisée d'euthanasie ? Que disent ses partisans et ses opposants ? Est-elle souvent administrée ?
Une étude du Professeur Chambaere de l'université de Gand (2015) estime à 12% de tous les décès en Flandre, en 2013, le pourcentage des personnes ayant bénéficié d’une sédation palliative avant leur mort. Les chiffres de la même année révèlent qu’une euthanasie a été pratiquée dans 4,6% des cas.
D’après l’étude de Robijn (2016), les benzodiazépines et les opiacés sont les médicaments les plus utilisés, en combinaison, en 2013 comme en 2007. Les opiacés ont été moins souvent utilisés seuls en 2013 (le recours aux seuls opiacés - comme la morphine - dans la sédation palliative n’est pas considéré comme une bonne pratique médicale). Par rapport à 2007, on a eu plus souvent recours au Propofol (23,1% vs 11%). La durée de la sédation était relativement plus courte en 2013, avec une plus large part de sédations profondes continues de moins de 24 heures (35,8% vs 24,4%).
Un rapport publié par les Pays-Bas en 2017 révèle que la palliation sédative est fréquemment administrée. On y fait état de 18% de sédations en 2015 contre 6% en 2001.
Une enquête internationale (2012) recense les principales raisons du recours à la sédation : le délire (54%), la sensation d'étouffement ou dyspnée (30%), la souffrance psychique (19%) et la
douleur (17%).
D’après une étude multidisciplinaire publiée en 2019, une thérapie de sédation palliative administrée selon les règles de l’art n’abrégerait pas la vie mais l’étude de Robijn souligne qu’en 2013, le médecin n’a déclaré que dans 29% des cas n’avoir pas l’intention de précipiter le décès, alors qu’on tient compte dans 53% des sédations d’un effet mortel. Dans 15,2% des cas, il est question d’une intention sous-jacente d’accélérer le décès et d’une intention explicite dans 2,7% des cas.
En 2013 et en Flandre, les patients
cancéreux représentaient 39% des sédations palliatives. Dans 30% des cas, elle a été administrée au domicile du patient, 38,6% à l’hôpital et 27,7% dans une maison de repos. La sédation s’est accompagnée d’hydratation artificielle dans 38,3% des cas, jusqu’au décès. On l’a interrompue en cours de sédation dans 12,5% des cas et 49,2% des actes ont été posés sans hydratation. Par rapport à 2007, on a eu recours à plus de sédations palliatives à la demande du patient lui-même (15,3% contre 9,7%). Dans 19,5% des cas, le patient ne l’a pas demandée mais l’a autorisée et dans 16,2% des cas, il n’y a eu ni demande ni autorisation de la famille. Le patient n’a pas participé à la prise de décision dans 65% des sédations, en général parce qu’il n’était plus en mesure d’exprimer sa volonté.
On se demande de plus en plus dans quelle mesure la sédation palliative est un choix éthiquement responsable pour faciliter les derniers moments du patient (terminal) et s’il s’agit donc bien d’un « traitement médical normal » dans le cadre des soins palliatifs ou s’il faut plutôt la considérer comme « une forme cachée » d’euthanasie ou une euthanasie lente, ce qui constitue un acte irresponsable et même punissable, si les conditions et procédures légales qui régissent l’euthanasie ne sont pas respectées. La discussion ne se déroule pas toujours sereinement, partisans et détracteurs ayant des opinions parfois très tranchées.
Les adversaires de l’euthanasie considèrent parfois la sédation palliative comme une alternative digne et éthiquement responsable à celle-ci. Par exemple, en 2004, la conférence épiscopale néerlandaise a publié un document indiquant que « l’euthanasie est contraire à l’éthique et superflue grâce aux soins palliatifs et à la sédation terminale ». Selon ce document, la sédation terminale est donc éthiquement acceptable, sous certaines conditions, contrairement à l’euthanasie.
« Pour commencer, il faut qu’il y ait une indication réelle. Il n’en est question que quand un malade incurable ne réagit suffisamment à aucun autre traitement en cas de douleur et d’autres symptômes handicapants. Deuxièmement, le dosage doit être ajusté afin de combattre les symptômes, sans plus. On court évidemment le risque d’accélérer le décès mais cela constitue un effet secondaire acceptable de la sédation comme d’autres traitements médicaux. On peut prendre ce risque en l’absence d’autres moyens de combattre les symptômes.
Troisième condition, le patient concerné doit avoir rempli ses obligations sociales, comme le règlement des questions d’héritage, et s’être préparé spirituellement à sa rencontre avec Dieu, en état de pleine conscience et en recevant les derniers sacrements. (…)
Si la dose est supérieure à celle qui est nécessaire, il est question de fin de vie ciblée. Il ne s’agit donc plus d’une sédation terminale mais d’euthanasie. Même si c’est une forme lente d’euthanasie, ça reste une euthanasie. D’une perspective catholique, on franchit les limites de ce qui est éthiquement acceptable. »
A l’inverse, (certains) partisans de l’euthanasie considèrent de nombreux cas de sédation palliative comme une forme camouflée ou hypocrite de raccourcissement actif de la vie, de « solution de facilité » pour concilier abréviation de la vie et problèmes de conscience par rapport à l’euthanasie et/ou pour contourner les conditions et procédures strictes qui régissent celles-ci. C’est pour cela que Wim Distelmans, professeur de médecine palliative, a plaidé en faveur d’un enregistrement obligatoire des sédations palliatives (dans le journal De Standaard du 27 octobre 2017), le terme étant souvent utilisé pour de nombreuses pratiques, sans qu’il y ait toujours de différence claire avec l’euthanasie. Cet enregistrement n’est toujours pas obligatoire - l’UZ Bruxelles est le seul à y procéder systématiquement. Distelmans explique : « Cela obligera les médecins à réfléchir davantage aux indications, à la manière dont ils communiquent, aux motifs d’une décision unilatérale - pourquoi n’en a-t-on parlé qu’à la famille -, aux produits utilisés… Les praticiens seront aussi plus enclins au dialogue, ce qui améliorera les qualités médico-techniques de la sédation. »
Maintenir une personne sous sédation tout en la privant d’hydratation et de nourriture pendant plusieurs jours serait indigne et prolongerait inutilement sa vie.
L’étude belge de Six, réalisée en 2020, s’appuie sur l’interview des membres de la famille et du personnel soignant de patients ayant subi une sédation palliative. Certains professionnels de la santé ont déclaré avoir préféré la sédation palliative à l’euthanasie pour accorder à la famille plus de temps pour se préparer émotionnellement au décès. Leurs déclarations contrastent avec celles de collègues qui jugent qu’il faut réduire au maximum la durée de la souffrance d’un patient et qu’il ne faut la prolonger sous aucun prétexte, parce que, d’après eux, la vue de cette souffrance accable encore plus la famille. Ces dispensateurs de soins sont également préoccupés par les problèmes que de longues périodes de sédation peuvent entraîner pour le patient (comme les
œdèmes, les escarres, les problèmes de dosage dus à l’accoutumance, etc.) Les deux visions tiennent compte de la souffrance psychologique de la famille mais sont contradictoires.
Certains proches ont reconnu que l’aspect du patient pendant la sédation les avait mis mal à l’aise. Bien qu’ils aient jugé qu’il s’agissait d’une option valable, ils ont ressenti une souffrance psychologique à la vue du déclin physique du membre de leur famille.
Les études scientifiques mettent d’autres soucis en avant. Des recherches récentes remettent en question la manière dont on juge le confort du patient pendant une sédation palliative. On a mis au point des appareils de monitoring afin de mieux évaluer la profondeur de la sédation et l’absence de douleur chez les patients (inconscients). On utilise notamment ces appareils durant les interventions chirurgicales. Bien qu’on n’ait pas encore mené beaucoup d’études sur les patients sous sédation palliative, Six affirme, en 2021, que les estimations basées sur l’observation clinique ne correspondent pas toujours à celles qui s’appuient sur le monitoring technologique, ce qui suscite des questions quant à la précision des estimations cliniques.
Une autre étude, réalisée par Prod’homme (2022), a prouvé que le recours au monitoring technologique (le monitoring analgésie/nociception, qui analyse le rapport entre la lutte contre la douleur et la présence de douleur et de
stress ou malaise) a permis, dans 22% des cas, de porter un jugement plus précis et donc d’offrir de meilleurs soins au patient sous sédation. Voilà qui semble remettre en question l’idée que le monitoring n’a pas sa place en soins palliatifs, afin de placer le patient dans un contexte aussi proche que possible de son domicile.